vendredi 31 octobre 2014

Femmes en mouvement: histoires, conflits, écritures (Pérou, XIXe - XXIe siècles)

Appel à communication
Journées d'étude

 24 et 25 septembre 2015
Paris
  
Organisation et coordination scientifique: Lissell Quiroz (Université de Rouen) et Mónica Cárdenas (EA 3656 Ameriber)
La pensée des Lumières et son idéal de progrès et de modernité sont à l’origine de deux mouvements parallèles et en apparence antinomiques. D’un côté, le discours éclairé véhicule une vision essentialiste des sexes qui cantonne les femmes à leur rôle de mères et à l’espace domestique. Dans le même temps, la diffusion de l’imaginaire politique moderne et du libéralisme, conduit à l’investissement de l’espace public par des femmes ayant bénéficié des progrès de l’éducation et de la modernisation économique de la société. Ces idées arrivent en Amérique latine dès la fin du XVIIIe siècle et s’imposent au moment des révolutions et de la formation des nouvelles républiques. Le Pérou n’échappe pas à ce modèle tout en présentant des spécificités.
Durant les premières décennies du XXe siècle, on voit apparaître les premières organisations féministes qui défendent le droit des femmes à l’éducation, au travail et à l'obtention de certains droits civiques sans pour autant les libérer de traits moraux jugés propres tels que la sentimentalité, le dévouement ou la religiosité. La seconde moitié du XXe siècle est quant à elle marquée par l’accession des femmes au droit de vote et à des formes d’action politique plus ouvertes qui mènent une réflexion sur le genre.
            En effet, celle-ci a été introduite dans les discussions politiques et artistiques en Amérique latine depuis plus de trente ans. Cette réflexion a introduit un nouveau regard sur l’histoire des femmes et la construction des rapports sociaux de sexe. Au Pérou, les travaux pionniers de Maruja Barrig, Cecilia Blondet, Narda Henríquez, María Emma Mannarelli ou Patricia Oliart entre autres, ont ouvert un champ de recherches qui n’a fait que s’amplifier au cours de ces dernières décennies. Ce développement de la recherche sur les femmes et le genre répondait à une situation historique particulière. Dans un contexte d’accentuation des tensions sociales qui ont débouché sur le conflit armé interne le plus meurtrier de toute l’histoire péruvienne contemporaine, ces universitaires, dont la plupart avaient intégré des formations politiques de gauche, ont éprouvé le besoin de prendre de la distance avec le militantisme et se sont consacrées à la conceptualisation et à l’articulation de la théorie et de la praxis. Leurs travaux, riches d’une expérience de terrain significative et engagée, ont mis l’accent sur les blocages de la société péruvienne en termes d’égalité de droits et de conditions de vie des femmes. Ces études ont montré que les catégories et représentations sur le masculin et le féminin ainsi que les rapports de genre étaient variables dans le temps et qu’ils avaient une histoire.
            Les années 1980 et 1990 bouleversent la structure politique et sociale du pays. Entre la fin des années 1980 et le début de la décennie suivante, le Pérou connut les heures les plus sombres de son histoire contemporaine. A la crise politique et institutionnelle s’ajouta la crise économique et sociale. Dans ce contexte de violence qui ravageait le pays, et de politique répressive et autoritaire instaurée par le gouvernement de Fujimori, le champ des études de genre éclate et s’ouvre vers de nouveaux horizons. Le regard se tourne alors vers les « marges » autrement dit vers les populations exclues qui ont été les principales victimes durant la période du conflit interne. Ainsi, la question de la « race » fait irruption dans le débat intellectuel et introduit le concept d’intersectionnalité. Le corps et la sexualité sont également interrogés sous le prisme du genre. Parallèlement, le thème de la mémoire et de la justice transitionnelle au féminin se pose aujourd’hui comme un sujet d’actualité.
            Ces journées d’étude souhaitent mettre l’accent sur le mouvement au féminin. S’il n’est plus besoin de démontrer que les femmes ont une histoire, celles-ci apparaissent encore associées à une certaine lenteur et immuabilité. En nous appuyant sur la notion de mouvement, nous voulons analyser la multiplicité des formes et la complexité d'agir au féminin. Quelles formes prend ce mouvement ? Comment s’exprime t-il dans l’espace géographique et dans le temps ? La politique et la littérature (les arts, en général) sont les formes plus représentatives de ce mouvement constant et régulier qui nous souhaitons analyser.
            Nous ouvrons la réflexion sur les mouvements des femmes au niveau du terrain politique: Comment ont-ils évolué dans leurs idées et dans leurs praxis ? Quel est le rôle de la femme dans l'espace public (organisations, ONG, partis politiques, État) ? Pourquoi et comment se sont-elles déplacées lors des périodes de crise ? Y a-t-il des ghettos de femmes dans la société péruvienne ? Comment et dans quelles conditions ont-elles survécu à la guerre ? D'autre part, en ce qui concerne la littérature, nous proposons d'analyser les différents langages et les idéologies dans les représentations de la femme et de la problématique féminine : comment a-t-elle évoluée en tant que femme-écrivain ? Quels ont été ses stratégies pour échapper au contrôle patriarcal à travers la fiction ? Quel sont les formes du langage que racontent les histoires de ces femmes ?
            Nous proposons cinq axes thématiques sur la même problématique, qui pourront être analysés grâce aux études de genre développées à la suite de Simone de Beauvoir, mais aussi depuis les approches politiques (Williams Crenshaw), littéraires ou linguistiques (Kristeva, Cixous), psychologiques et sociologiques (Lipovetsky). Il nous semble également très important de prendre en compte les réflexions de la tradition latino-américaine sur ce sujet (Monsivais, Kirkwood, Barrig) sans oublier les théories post-féministes (Butler, Preciado).

Axes thématiques :
Axe 1 : Femmes et mouvements géographiques
Axe 2 : Les femmes péruviennes dans les mouvements intellectuels et artistiques
Axe 3 : De la domus à la polis : des femmes à la conquête de l’espace public
Axe 4 : Femmes, mémoire et violence
Axe 5 : Le corps, entre soumission et libération

Axe 1 : Femmes et mouvements géographiques
            Contrairement aux idées reçues, les femmes ne sont pas des êtres sédentaires et marqués par le sceau de l’immobilité. Elles connaissent cependant une mobilité propre, dans bien des cas différente de celle des hommes et ce depuis le XIXe siècle. Ainsi, dans ce siècle marqué par les révolutions et les guerres, les femmes de combattants – les rabonas – suivaient les soldats dans leurs déplacements. Dans les campagnes, les travaux agricoles et le circuit commercial ainsi qu’une géographie complexe, imposent jusqu’à aujourd’hui le déplacement régulier des paysannes. Le mouvement spatial n’est pas moins important dans les villes, espaces anthropocentrés qui conditionnent des déplacements particuliers des femmes dans le tissu urbain.
            Plus tard, à partir des années 1950, des vagues de ruraux s’installent dans les villes. Les études sociologiques (Degregori,  Blondet) montrent la place centrale occupée par les femmes dans les invasions de terrains ainsi que dans l’organisation politique et sociale des pueblos jóvenes. Durant le conflit interne, les migrations se sont intensifiées et ont revêtu d’autres formes comme les déplacements forcés ou la fuite. Plus récemment, des mouvements inverses, de retour temporaire ou définitif à la région de naissance se produisent et l’on peut s’interroger sur la spécificité des migrations au féminin.

Axe 2 : Les femmes péruviennes dans les mouvements intellectuels et artistiques
            La modernisation du Pérou durant le gouvernement de Ramon Castilla a pour conséquence l'intégration des femmes au projet éducatif national. Elles deviennent les garantes de la civilité, car beaucoup d'entre elles s'occupent de l'enseignement dans les écoles primaires, les lycées des femmes et leur fonction d'éducatrices se projette aussi dans les foyers. L’archétype de la femme bourgeoise mariée, selon les articles sur la moralité de l'époque, suppose une attitude passive, une conscience religieuse et un dévouement vers les autres, essentiellement en tant qu'épouse et mère. Dans ce contexte idéologique se développe la première génération des femmes des lettres : Teresa González de Fanning, Carolina Freyre de Jaimes, Mercedes Cabello de Carbonera, Margarita Práxedes Muñoz, Clorinda Matto de Turner, Manuela Villarán de Plascencia, María Nieves Bustamante, etc.
            Y a t-il eu dans l’écriture de ces femmes une continuité ? Quelle est la relation entre le journalisme et la littérature de fiction chez les femmes ? Quelles ont été les stratégies pour subvertir le discours  imposé par les institutions artistiques et littéraires de l'époque? D'autre part, l'avant-garde est une période d'ouverture et d'exploration très significative au Pérou, car elle correspond à la période de l’indigénisme. Parmi les artistes les plus remarquables on retrouve Julia Codesido. 

Axe 3 : De la domus à la polis : des femmes à la conquête de l’espace public
            L’élargissement de l’accès à l’éducation durant le XIXe siècle révolutionne l’histoire des femmes. Pour la première fois dans l’histoire du Pérou, des femmes de plus en plus nombreuses conquièrent une certaine autonomie et osent quitter l’espace domestique. C’est le cas de certaines écrivaines de la génération de 1870 qui comme Clorinda Matto de Turner deviennent des personnes influentes dans le monde intellectuel.
D’autres, comme les pédagogues ou les diplômées affirment leur savoir et leur savoir-faire. Ainsi, les sages-femmes s’affirment comme les spécialistes de l’obstétrique du XIXe siècle et rivalisent sur ce domaine avec les médecins de l’époque. Parallèlement, la lutte pour l’égalité des droits – à commencer par celui à l’éducation – se diffuse. Le tournant du siècle voit la naissance du mouvement féministe dont l’une des premières péruviennes à s’en réclamer est María Jesús Alvarado. A cette première vague suit une deuxième puis une troisième vagues du féminisme qu’il s’agira ici d’étudier.
                       
Axe 4 : Femmes, mémoire et violence
            Mais à côté de ce mouvement politique proche de celui des autres pays occidentaux et qui concerne plus particulièrement les classes moyennes et aisées, il existe d’autres formes de mobilisation politique tels que les « comités de mères » ou les femmes en armes (guerrilleras, rondas campesinas).
            Le conflit armé interne a en effet profondément affecté les femmes des régions où le conflit a sévi et la mesure de l’impact sur ces populations est encore mal estimée ou peu considérée car le travail de construction d’une mémoire collective et apaisée est encore à faire. Or comme le note la Commission de la vérité et la réconciliation, les femmes se sont trouvées à la croisée des chemins, victimes directes de la violence – notamment sexuelle – des guérillas et de l’Etat. Par ailleurs, souvent survivantes de la violence, elles gardent les stigmates de celle-ci : pertes de leurs maris, fils ou parents, grossesses à la suite d’un viol, déplacements forcés, pauvreté. Mais les actrices du conflit ne sont pas seulement victimes. Comme le montrent des travaux récents (Boutron), la violence n’est pas exclusivement masculine, elle concerne également les femmes qui font le choix des armes.

Axe 5 : Le corps, entre soumission et libération
Dans la littérature, la représentation du corps et de l'érotisme est souvent liée aux problématiques féminines. Le désir et la sensibilité des femmes ont été questionnés tout au long de la tradition littéraire péruvienne. Il est intéressant à cette occasion de pouvoir analyser les langages crées par les femmes écrivains sur ces problématiques. La poésie a été la forme la plus utilisée pour cette exploration. Depuis Blanca Varela, il y a eu, et il y a toujours, des poètes remarquables  comme : María Emilia Cornejo, Carmen Ollé, Mariela Dreyfus, Rocío Silva Santistevan, et dans la génération plus récente : Virginia Benavides, Victoria Guerrero, Cecilia Podestá, Andrea Cabel, Gabriela Wiener. Beaucoup de ces femmes écrivains, et d'autres comme Pilar Dughi, Laura Riesco, Giovana Pollarolo et Claudia Salazar, ont également exploré, avec succès, la prose.
Plus largement, ces journées d’étude souhaitent s’interroger sur la place du corps féminin dans la construction identitaire des femmes péruviennes contemporaines.

Modalités de soumission des propositions de communication
Les propositions de communication (durée de 20 min), en espagnol ou en français, sont à envoyer aux adresses électroniques des coordinatrices : lissell.quiroz-perez@univ-rouen.fr et moncardenas@gmail.com  
Ils doivent comprendre : nom, université, statut, courriel, l'axe dan lequel s'inscrit la communication, le titre et un résumé de 500 mots ainsi qu'une bibliographie indicative.

Calendrier
Date limite de soumission des propositions de communication : lundi 13 avril 2015
Notification d'acceptation : lundi 27 avril 2015
Publication du programme : 15 mai 2015

Les langues de communication sont l'espagnol et le français


Invitée :

Claudia Salazar Jiménez (Sarah Lawrence College, New York) auteure de La sangre de la aurora (Lima, Animal de Invierno, 2013) gagnante du “Premio de las Américas” 2014


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